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Hélène Pastor, ma mère assassinée

Hélène Pastor, tuée en mai 2014 à Nice, et son fils Gildo (à droite).

Hélène Pastor, tuée en mai 2014 à Nice, et son fils Gildo (à droite).

Eric Dulièrer/PHOTOPQR/NICE MATIN/maxppp

À quelques jours du procès des tueurs présumés de la milliardaire monégasque, j’ai recueilli le témoignage de son fils Gildo Pallanca Pastor.

Article paru sur lexpress.fr samedi 15 septembre 2018 et dans l’édition papier de L’Express jeudi 20 septembre.

Lundi 17 septembre s’ouvre aux assises d’Aix-en-Provence le procès des assassins présumés de la milliardaire Hélène Pastor, la femme la plus riche de Monaco, et de son chauffeur, exécutés en mai 2014 à Nice. Sur le banc des accusés vont se côtoyer le gendre de la victime, ex-consul de Pologne à Monaco, son coach sportif et des tueurs à gages recrutés dans les bas-fonds de Marseille.

Prix de ces deux vies humaines : 140 000 euros. Dans la salle, sur le banc des parties civiles, le fils de la victime, Gildo Pallanca Pastor, sera là chaque jour, pendant un mois, malgré sa santé défaillante. C’est en allant lui rendre visite à l’hôpital L’Archet, à Nice, où il était hospitalisé pour un double AVC, que sa mère a été tuée.

Depuis, Gildo Pallanca Pastor tente de se reconstruire. Patron de l’écurie de Formula E électriques Venturi, il a dû mettre entre parenthèses sa vie professionnelle. Il quitte Monaco pour New York, afin de fuir le cauchemar. Il livre son témoignage à L’Express. (Propos recueillis par Hélène Constanty les 11 et 12 septembre 2018.)

Gidlo Pallanca Pastor, le 10 septembre 2018.

Gidlo Pallanca Pastor, le 10 septembre 2018.

PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

CHAPITRE 1. Comment Gildo Pallanca Pastor apprend que sa mère a été victime d’une fusillade en sortant de l’hôpital niçois où il séjourne après un accident vasculaire cérébral

Tous les jours, ma mère, Hélène Pastor, venait me rendre visite à l’hôpital L’Archet, à Nice. J’avais été victime, quatre mois plus tôt, d’un accident vasculaire cérébral, suivi d’une grave hémorragie. Elle arrivait de Monaco vers 18 heures, après son travail, conduite par son chauffeur qui la déposait devant l’entrée et attendait la fin de la visite pour la raccompagner à Monaco. Elle restait à mes côtés environ une heure. Moi, je pouvais à peine parler et presque pas bouger. J’allais mal. Le 6 mai 2014, je l’ai embrassée, elle m’a dit « à demain ». Elle est sortie de ma chambre et a rejoint son chauffeur, Mohamed Darwich, qui l’attendait sur le parking de l’hôpital. Elle est montée dans sa voiture, un monospace Lancia Voyager noir, à bord duquel l’attendait sa chienne Belle, assise sur le siège arrière. Ils avaient fait à peine 10 mètres lorsqu’ils se sont fait tirer dessus. Elle et son chauffeur. Il était 19 heures.

Tu dois quitter les lieux au plus vite

Je n’ai rien vu, bien sûr, j’étais allongé dans mon lit, la tête lourde. Mais j’ai entendu qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. Cet hôpital, situé sur une colline niçoise, est d’ordinaire très calme, il y a peu de bruit. Là, j’ai entendu des gens qui couraient, j’ai senti une agitation à l’extérieur.

Un policier est arrivé pour bloquer l’accès à ma chambre. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Puis la directrice de l’hôpital est venue me voir et m’a brièvement raconté ce qu’il s’était produit, sans me donner de détails. Ma mère et son chauffeur avaient été blessés. Ils étaient hospitalisés au service de réanimation de l’hôpital Pasteur, un autre établissement niçois. Ils n’étaient pas morts. Pasteur, je ne connais que trop bien. J’y ai été hospitalisé moi-même. Fou d’inquiétude, je n’avais qu’une envie : foncer la voir tout de suite pour me rendre compte de ses blessures. Mais c’était strictement impossible, compte tenu de mon propre état de santé.

Ma femme est arrivée vers 23 heures. Elle m’a dit : « Tu dois quitter les lieux au plus vite. Il est trop dangereux pour toi de rester dans cette chambre. » L’hôpital L’Archet n’était pas équipé pour garantir ma sécurité et gérer la situation à hauts risques dans laquelle se trouvait la famille. En urgence, il a fallu réorganiser notre maison pour rendre possible mon hospitalisation à domicile. Le lendemain matin, nous sommes rentrés à Monaco sans que j’aie pu voir ma mère. Nous avons réussi à franchir la grille de l’hôpital sans nous faire repérer par les journalistes, qui campaient là depuis la veille. De toute façon, j’aurais été bien incapable de leur parler. J’étais anéanti, sans voix.

Deux jours plus tard, j’ai été autorisé à rendre visite à ma mère au service de réanimation de l’hôpital Pasteur. Elle était extrêmement diminuée. C’était impressionnant à voir. Elle avait été gravement atteinte par les petits plombs du fusil de chasse du tireur, notamment au cou et à la joue droite, qui n’avait pas été recousue. Son coeur et ses poumons étaient aussi touchés. Son corps était criblé de tuyaux. Son chauffeur, lui, était hospitalisé dans une autre pièce. Il allait mourir le premier, peu de temps après ma visite. Leurs chambres étaient gardées par des policiers. Seuls ma soeur et moi avons été autorisés à voir notre mère.

Chose incroyable, ma mère s’est mise à me parler pendant deux heures. Elle m’a demandé comment j’allais, comme si son accident était déjà loin derrière elle. Elle se souciait de moi avant de penser à elle. Je l’ai revue une deuxième fois, quelques jours plus tard. Elle était adorable, très calme. Elle est morte le 21 mai. Dès que j’ai été prévenu, j’ai sauté dans ma voiture pour aller la voir, à 6 heures du matin. Je ne sais pas comment j’ai fait pour conduire entre Monaco et Nice, alors que je ne pouvais pas bouger mon bras droit ! C’était la première fois que je reprenais le volant depuis mon accident.

« J’ai d’autres choses à vous dire »

Lorsqu’ils l’ont interrogée, le 17 mai, brièvement et avec beaucoup de difficulté, compte tenu de son état de faiblesse, elle leur a décrit son agresseur. Après être montée à l’avant, sur le siège passager, elle a vu à sa droite un homme à la peau foncée, vêtu de sombre, armé d’un fusil qu’il a levé sur elle. Elle ne l’avait jamais vu. Il se tenait près du mur d’enceinte de l’hôpital, à 3 ou 4 mètres du véhicule. Il a tiré en premier sur elle, puis sur son chauffeur, dont le ventre s’est aussitôt mis à saigner.

La voiture dans laquelle Hélène Pastor et son chauffeur, Mohamed Darwich, ont été assassinés le 6 mai 2014.

La voiture dans laquelle Hélène Pastor et son chauffeur, Mohamed Darwich, ont été assassinés le 6 mai 2014.

Eric Gaillard/REUTERS

Les policiers lui ont montré des planches avec des photos, qu’elle a observées avec attention. Mais elle s’est étouffée et a manifesté un état de malaise qui les a obligés à interrompre l’audition et à appeler les soignants. Lorsqu’ils ont pu revenir dans sa chambre, un moment plus tard, pour lui dire qu’ils prenaient congé afin qu’elle puisse se reposer, elle a juste eu le temps de souffler à l’oreille de la commandante de la PJ : « J’ai peur. Je veux vous revoir, j’ai d’autres choses à vous dire. » Elle n’en a pas eu le temps.

Elle ne m’a pas fait part de ses soupçons. Elle disait que ce n’était pas important. Savait-elle qu’elle ne sortirait pas vivante de l’hôpital ? En tout cas, elle ne m’a rien dit. Elle est décédée sans avoir pu reparler aux enquêteurs.

L’enterrement de ma mère a eu lieu au cimetière de Monaco, dans une ambiance dramatique. Ce cimetière aux terrasses escarpées en surplomb du quartier de Fontvieille, où se trouve le caveau familial des Pastor, était encerclé par la police, qui filtrait les entrées. Le nombre de personnes autorisées à y participer avait été limité à 50, uniquement la famille proche et le prince Albert. Les journalistes étaient évidemment interdits d’accès. Nous ne savions toujours pas qui avait tué ma mère. Les rumeurs les plus folles circulaient dans la principauté. Le climat était extrêmement tendu. Mon fils aîné a absolument tenu à venir, il ne voulait pas laisser sa grand-mère partir sans lui faire un dernier adieu. Ma soeur était là, bien sûr, avec Wojciech, son compagnon. J’ai appris plus tard que, devant la tombe de ma mère, il lui avait dit cette chose terrible : « On va pouvoir enfin être tranquille. »

CHAPITRE 2. Où Gildo raconte ses débuts dans l’immobilier, suivant la voie tracée par son grand-père

J’ai été baptisé du nom de mon grand-père maternel, Gildo. Ce n’est pas anodin. J’ai vécu toute ma vie en portant la responsabilité de ce prénom. Mon grand-père était un sacré personnage ! Un bâtisseur, un visionnaire.

Dans les années 1960, le prince Rainier lui a confié la réalisation d’un nouveau quartier de Monaco, le Larvotto, à l’est de Monte-Carlo. Des voies ferrées ont été enterrées, ce qui a libéré une immense emprise foncière en bord de mer, le long du boulevard Princesse-Grace, sur laquelle mon grand-père a fait construire de grands immeubles résidentiels. Son idée géniale a été de ne pas vendre les immeubles qu’il avait bâtis, comme le font d’ordinaire les promoteurs, mais d’en conserver la propriété afin de générer des revenus locatifs en louant les appartements.

Il faisait vraiment peur

C’était un travailleur acharné, fils d’un immigré italien, né en Ligurie, de l’autre côté de la frontière. Jean-Baptiste Pastor, mon arrière-grand-père, était arrivé en 1880 à Monaco, pour se faire embaucher sur le chantier de l’église Saint-Charles comme tailleur de pierre. Il a travaillé dur et économisé pour parvenir à créer sa propre entreprise de travaux publics, en 1920. Il est connu pour avoir réalisé le stade Louis-II, le premier stade construit dans la principauté, en 1939. Mon grand-père Gildo a pris la suite de son père dans l’entreprise familiale JB Pastor & Fils, qu’il a développée de façon spectaculaire.

"J'ai été baptisé du nom de mon grand-père maternel, Gildo. Un sacré personnage ! Un bâtisseur, un visionnaire."

« J’ai été baptisé du nom de mon grand-père maternel, Gildo. Un sacré personnage ! Un bâtisseur, un visionnaire. »

Picture-Alliance/AFP

Dès l’âge de 5 ans, j’allais une fois par semaine passer la journée chez lui. Mes grands-parents habitaient une maison superbe, perchée sur le toit du Continental, un immeuble de 13 étages que Gildo avait construit lui-même, place des Moulins. Cette villa, qui dispose d’une vue unique sur les plages du Larvotto, aurait besoin d’être rénovée. Je me suis promis d’engager bientôt les travaux, en souvenir des moments magiques que nous y avons passés ensemble.

Gildo Pastor était un homme influent et respecté à Monaco. Il pouvait vous terroriser et vous faire mourir de rire quelques instants plus tard. Je me souviens d’un entretien qu’il avait donné à des journalistes, auquel il m’avait convié. Sa façon de leur parler était glaçante. Il faisait vraiment peur. Après ses rendez-vous professionnels, il changeait de masque, on allait déjeuner ensemble et on rigolait ! Hélène, ma mère, avait le même caractère que lui. Elle a été décrite, lors de l’enquête judiciaire, comme une femme dure et austère. Cela ne correspond pas au souvenir que j’ai d’elle. Avec moi, non seulement elle était douce, mais elle me faisait parfois pisser de rire !

Pas une jeunesse de milliardaire

Mes grands-parents nous réunissaient souvent, avec mes oncles Victor et Michel et mes cousins, pour de grands repas dans leur villa. Les enfants n’avaient pas droit à la parole à table. Nous nous contentions d’observer et d’écouter les adultes. La relation était différente lorsque nous étions en tête à tête. Mon grand-père adorait que je lui présente les nouveautés de la technologie. Je lui ai montré les premiers cédéroms, les premiers ordinateurs portables… J’ai toujours été passionné de nouvelles technologies.

Je n’ai pas vécu une jeunesse de milliardaire comme on se l’imagine. Car, dans ma famille, l’argent n’était pas fait pour être dépensé, mais pour construire de nouveaux immeubles. Bien sûr, je sortais quelquefois le soir en boîte, comme les jeunes de mon âge. Mais, dès 14 ans, j’étais en costume-cravate ! Ma tenue vestimentaire a bien changé depuis. Je ne porte plus que des jeans, des polos et des chaussures de sport.

J’ai été élevé par mes parents, Hélène Pastor et Claude Pallanca, avec un minimum d’argent… Jusqu’à ce que je commence à gagner ma vie en participant à l’achèvement du dernier grand chantier lancé par mon grand-père : la construction du Gildo Pastor Center, dans le quartier de Fontvieille. C’est l’immeuble de bureaux dans lequel ma mère, ma soeur et moi avons travaillé ensemble jusqu’à son décès. Ce chantier a été une énorme responsabilité pour moi : 11 étages, 30 000 mètres carrés de bureaux, 730 places de parking… Tout se passait bien sur le site. Mon grand-père était admiratif du travail que j’accomplissais à ses côtés.

Le Gildo Pastor Center, à Monaco, où Gildo Pastor travaillait avec sa mère et sa soeur.

Le Gildo Pastor Center, à Monaco, où Gildo Pastor travaillait avec sa mère et sa soeur.

Jean-Pierre Amet/REUTERS

Jusqu’à ce jour fatal où j’ai entendu la sirène d’une ambulance, en train de descendre à Monaco à toute vitesse. Mon grand-père était dans l’ambulance. Il était dans sa maison de campagne à Eze, à l’ouest de Monaco, lorsqu’il a été victime d’un accident vasculaire cérébral. On nous avait prédit qu’il n’en avait plus que pour deux ou trois jours. Il a vécu un an. Il s’est battu de toutes ses forces contre la maladie.

A son décès, en 1990, le patrimoine immobilier de la famille a été partagé entre ses trois enfants : ma mère Hélène et mes deux oncles. Des évaluations ont circulé sur la valeur de la fortune de ma mère. Mais nous louons ces appartements, donc nous ne raisonnons pas de cette manière. Je vis très simplement. L’argent généré par les locations sert essentiellement à investir.

Nos finances ont été mises à nu lors de l’enquête judiciaire. On a pu lire dans les journaux que notre mère nous versait 500 000 euros par mois, à ma soeur et à moi. Cela peut paraître beaucoup. Mais selon moi, c’était une façon pour elle d’observer comment chacun de nous gérait son patrimoine. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup investi, dans des domaines très variés. Il y a vingt ans, j’ai créé la radio MC One, aujourd’hui Radio Monaco. Il n’y avait alors aucune station de radio détenue par un Monégasque. J’ai aussi créé des restaurants comme la Brasserie de Monaco, ouverte en 2008 sur le port Hercule, où l’on peut boire de la bière brassée sur place.

Dans ma vie, il y a deux échelles de valeurs. Faire les choses bien : c’est l’immobilier, dans la tradition familiale. Faire les choses par passion : c’est le véhicule électrique. Et la réalisation dont je suis le plus fier, c’est le constructeur automobile Venturi.

CHAPITRE 3. Où Gildo Pastor se livre sur la grande passion de sa vie, le constructeur automobile Venturi

Ma passion pour la course automobile vient de mon grand-père paternel, lui-même mécanicien et fanatique d’automobile. C’est lui qui m’a initié, en me faisant découvrir les coulisses du Grand Prix de Monaco. Puis, vers 19 ans, j’ai eu la chance de piloter une Renault Europa Cup grâce à un ami, sur le circuit d’Imola, en Italie. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était la première fois que je conduisais une voiture de course sur un vrai circuit. Après m’avoir observé au volant, cet ami m’a dit : « Je ne pense pas que tu sois fait pour être pilote de Formule 1. Tu es trop zen ! Mais ta connaissance du milieu de la course automobile, de la mécanique, des châssis, est exceptionnelle. A ta place, je monterais plutôt une équipe. » Et c’est ce que j’ai fait. Des années plus tard…

Innover dans la voiture électrique

Les choses sérieuses ont commencé en 2000, lorsque j’ai pris le contrôle de l’entreprise française Venturi. Ce petit constructeur de voitures de sport avait été fondé dans les années 1980, dans l’ouest de la France, par des passionnés de mécanique automobile. Je les suivais depuis longtemps, j’appréciais leurs créations. Mais l’entreprise, qui connaissait des difficultés financières depuis des années, a fini par être placée en liquidation judiciaire. Je l’ai reprise à la barre du tribunal de commerce de Saint-Nazaire et j’ai transféré son siège à Monaco.

Gildo Pastor présente les voitures électriques Venturi, le 13 mai 2005 à Monaco.

Gildo Pastor présente les voitures électriques Venturi, le 13 mai 2005 à Monaco.

Eric Dulière/PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Surtout, j’ai fait le choix de la motorisation électrique. Il y a dix-huit ans, la voiture électrique apparaissait comme une idée de doux rêveur. Nous avons mis au point un premier modèle électrique, baptisé Fetish, doté de batteries au lithium-ion de dernière génération. Une aventure folle ! Les mécaniciens de Venturi m’ont pris pour un dingue. Ils n’y croyaient pas. Un jour, ils ont menacé de démissionner en bloc. Il a fallu que je les convoque dans l’usine. J’ai réussi, tant bien que mal, à les convaincre de me faire confiance et de m’aider à mettre sur le marché notre premier modèle électrique.

La présentation de la Fetish au Salon de l’automobile de Paris de 2004 a été épique. La veille, nous sortons la voiture rutilante du camion pour effectuer des essais. Rien. Elle refuse de démarrer. Catastrophe ! Le lendemain, nous avions prévu un tournage avec une équipe de télévision, pour un sujet qui devait être diffusé au journal de 20 heures de TF1. Ce devait être la consécration tant attendue de la première voiture électrique sportive fabriquée en France. Après une nuit sans sommeil, un mécanicien parvient à la démarrer. Je pars faire un essai sur un circuit au nord de Paris. Ce devait être un petit tour de roue à 30 kilomètres-heure… Et je me retrouve au volant, à 200 kilomètres-heure. Le bonheur ! Je pleurais tellement que je n’arrivais pas à me résoudre à arrêter le moteur. Avec l’équipe de TF1, nous avons roulé de Paris jusqu’au château de Chambord, en ne consommant que la moitié du réservoir d’énergie électrique. Ce jour-là, les mécanos de Venturi ont enfin été conquis.

Leonardo DiCaprio intéressé

Avec Venturi, nous avons construit des centaines de véhicules électriques grand public pour La Poste et pour Peugeot. Mais mon but, c’est la compétition de Formula E, la Formule 1 version électrique. J’ai créé mon écurie en 2014, l’année où le championnat a vu le jour. Sur le modèle de la Formule 1, dix écuries s’affrontent sur des circuits, dans plusieurs grandes villes au cours de la saison, dans une série d’épreuves « zéro émission ».

"Ma passion pour la course automobile vient de mon grand-père paternel, lui-même mécanicien et fanatique d'automobile."

« Ma passion pour la course automobile vient de mon grand-père paternel, lui-même mécanicien et fanatique d’automobile. »

PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

L’acteur Leonardo DiCaprio, un passionné d’énergies vertes, avait prévu de prendre 30 % du capital de mon écurie monégasque. Nous avions annoncé notre association lors d’une conférence de presse, début décembre 2013. J’étais gonflé à bloc. Je me souviens d’avoir dit ce jour-là, des étoiles plein les yeux, que Venturi aurait désormais « un pied dans le rêve, un pied dans la réalité ».

Le destin en a décidé autrement. La course du premier championnat de Formula E s’est tenue à Pékin, en septembre 2014. Avec notre écurie aux couleurs de Monaco (blanc et rouge) et nos deux pilotes, l’Allemand Nick Heidfeld et le Français Stéphane Sarrazin. Mais sans moi.

CHAPITRE 4. Où Gildo Pastor frôle la mort, rompt avec Monaco et refait sa vie à New York

Ma vie a basculé un matin de janvier 2014. J’étais chez moi à Monaco, en famille, dans notre appartement de l’Emilie Palace, l’immeuble qui porte le nom de ma grand-mère. Une journée ordinaire. Après le petit-déjeuner, ma femme est sortie accompagner nos deux fils à l’école. Je m’apprêtais à partir au bureau rejoindre ma mère et ma soeur, comme tous les jours, au Gildo Pastor Center, lorsque je me suis senti mal. Comme un étourdissement. Ma main droite s’est engourdie, j’avais du mal à bouger le bras. J’ai commencé à baver. J’ai patienté jusqu’au retour de ma femme, qui avait fait quelques courses en chemin. L’attente m’a paru interminable.

Clémentine, qui a fait des études médicales, a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un accident vasculaire cérébral. Elle a appelé les pompiers, qui ont confirmé son diagnostic. La course contre la montre a commencé. Ils m’ont conduit en ambulance à l’hôpital Pasteur de Nice, sirènes hurlantes, avec des motards pour ouvrir la voie. Lorsqu’une personne est victime d’un AVC à Monaco, elle est toujours transportée à Nice, selon un accord entre la principauté et la France.

Je ne suis plus qu’un légume

A l’hôpital, on me fait des examens de la tête. J’y reste quelques jours, le temps que mon état se stabilise, puis on me transfère dans un centre de rééducation à Grasse. Ce n’est pas la grande forme, mais ça va à peu près. Pas pour longtemps. Cinq jours après mon arrivée dans ce centre, je suis victime d’une hémorragie cérébrale. Là, c’est vraiment grave. Une partie de mon cerveau est atteinte. Je n’entends plus, je ne vois plus. On me ramène en urgence à l’hôpital Pasteur où, pendant huit jours, je reste dans le coma, entre la vie et la mort. Puis j’ouvre un oeil. J’ai 47 ans et je ne suis plus qu’un légume. Je ne suis même plus capable de m’alimenter seul. Dans ces moments-là, vous avez le temps de revoir le film de votre vie.

Jusqu’à mon accident, je travaillais tous les jours aux côtés de ma mère et de ma soeur, à la gestion du patrimoine immobilier familial. Après le décès de mon grand-père Gildo, en 1990, ma mère a reçu en héritage six immeubles. Ma mère, ma soeur et moi nous occupions ensemble de leur gestion, c’est-à-dire de faire réaliser les travaux d’entretien nécessaires des appartements et des parties communes, assurer les relations avec les locataires…

Monaco.

Monaco.

Getty Images/iStockphoto

Les relations entre ma mère Hélène et ma soeur Sylvia n’étaient pas toujours au beau fixe. Cela a été beaucoup commenté lors de l’enquête sur l’assassinat de notre mère. Elles travaillaient côte à côte tous les jours et s’engueulaient souvent. Mais, deux heures après, tout allait bien à nouveau. Elles déjeunaient ensemble tous les midis. Ma soeur et moi n’avons ni le même père, ni le même caractère. Le père de Sylvia, qui a sept ans de plus que moi, était polonais. Elle tient sans doute de lui un caractère plus froid et réservé que moi, qui suis très méditerranéen. Elle supportait mal, apparemment, d’avoir sa mère au bout du fil une fois par jour. Moi, cela ne m’a jamais posé de problème. Mon père, Claude Pallanca, lui aussi, m’appelle tous les jours.

Il semblerait que mon retour ait précipité le crime

Cet AVC m’a obligé à quitter le bureau du jour au lendemain, sans rien avoir préparé. Je me suis retrouvé immobilisé, incapable de faire le moindre geste du quotidien. A l’hôpital, les infirmières sont compétentes et dévouées, mais elles n’ont pas le temps de s’occuper des malades. On ne me lavait qu’une fois tous les quinze jours. C’est très difficile à vivre.

Le 1er avril, pour mon anniversaire, ma femme est venue me voir avec nos deux fils, âgés de 7 et 5 ans. Je leur ai fait un effet déplorable. Ils ont vu leur père amaigri, barbu, le visage figé. Un choc terrible pour de jeunes enfants ! Dès que mon état s’est un peu amélioré, début avril 2014, j’ai demandé la permission de rentrer chez moi à Monaco le week-end, du vendredi soir au dimanche soir, afin de pouvoir au moins prendre une bonne douche. Il semblerait que la perspective de ma guérison et de mon retour à la maison ait précipité le crime. Ma mère aurait alors cessé de faire les allers-retours entre Monaco et Nice. Elle aurait été moins vulnérable. Il est quasi impossible d’exécuter quelqu’un en pleine rue à Monaco, où tout est extrêmement surveillé.

Une fois de retour chez moi, à Monaco, sur mon lit médicalisé, après l’assassinat de ma mère, j’ai vécu des mois très pénibles. J’avais perdu 30 kilos. J’étais immobilisé, ne pouvais ni tourner la tête ni lever le bras… Qu’allaient devenir mes fils ? Je n’avais qu’une seule idée en tête : récupérer suffisamment de mobilité pour pouvoir m’occuper d’eux, reprendre la gestion de mes affaires et leur assurer un avenir. Ils étaient très proches de leur grand-mère, qui les adorait et passait une journée par semaine avec eux.

Alors que je commençais à désespérer, la chance m’a enfin souri.

Sauvé par un médecin new-yorkais

Un an après mon AVC, j’étais encore lourdement handicapé. Je marchais difficilement, mon bras droit restait paralysé, je baragouinais. Je me sentais toujours très fatigué. Bref, j’étais un zombie. En juin 2015, ma femme et moi avons pris des places sur un bateau de croisière pour les Etats-Unis, car il m’était impossible de prendre l’avion. Je suis allé consulter un neurologue à l’hôpital de l’université de Columbia à New York. José Gutierrez a la réputation d’être le meilleur spécialiste mondial.

Je souhaitais entendre un avis différent de celui des médecins français qui me suivaient depuis mon accident. Ses paroles m’ont stupéfié ! Il m’a dit : « Monsieur, vous allez reparler, vous pourrez marcher et même courir. Il suffit que vous vous donniez le pouvoir d’y parvenir. » Il nous a mis une grosse baffe !

Cette rencontre, déterminante, a provoqué notre changement de vie. Nous avons décidé de quitter Monaco pour nous installer à New York. Je n’ai vu qu’une fois ce médecin. Ensuite, il m’a confié aux soins de son équipe médicale, par laquelle je suis toujours suivi pour la rééducation. Ils ont fait de moi un miraculé ! Je donne aujourd’hui des conférences devant des malades, pour leur montrer qu’il faut y croire, qu’une amélioration est possible.

"Nous avons décidé de quitter Monaco pour nous installer à New York."

« Nous avons décidé de quitter Monaco pour nous installer à New York. »

PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Dans notre décision, l’envie de changer d’air a aussi compté, bien sûr. Nous avions besoin de mettre de la distance entre nous et Monaco. Nos enfants ont été traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Ils continuent d’être suivis par des médecins, pour tenter de leur faire oublier les images terribles qui les hantent. J’aimerais tellement qu’ils ne gardent que les bons souvenirs ! J’ai accroché une grande photo d’eux en train de faire du tricycle, en compagnie de leur grand-mère, au-dessus du réfrigérateur de la cuisine.

Nous vivons dans le West Village. Nous allons à Monaco un mois par an, c’est suffisant. Aux Etats-Unis, ils grandissent dans un cadre plus ouvert. Je vois ma soeur une fois par an. Grâce à la rééducation, j’ai retrouvé peu à peu mon vocabulaire. Il y a des mots dont je n’arrivais pas à me souvenir. Pologne, par exemple. Le mot m’est revenu il y a quelques jours, à l’approche du procès.

CHAPITRE 5. Où Gildo Pastor apprend que le compagnon de sa soeur aurait recruté des tueurs dans les bas-fonds de Marseille pour exécuter sa mère

J’ai mis longtemps à réaliser que ma mère avait été assassinée. Mon cerveau, endommagé par l’AVC, avait compris qu’elle avait été blessée, mais je pensais qu’elle serait bien soignée et pourrait rentrer à Monaco. Prendre conscience que je ne la reverrais jamais a produit en moi un choc terrible.

Les premiers jours de l’enquête, toutes les pistes ont été envisagées par la police. Tous les membres de la famille, moi y compris, pouvaient faire figure de suspects. Le jour où je suis allé voir ma mère à l’hôpital Pasteur, pour la première fois, les policiers étaient là. Trois jours s’étaient écoulés depuis son agression. Après m’avoir laissé deux heures en tête à tête avec elle, ils m’ont demandé de les suivre au commissariat d’Auvare, le siège de la police judiciaire de Nice. J’ai été interrogé sans ménagement. J’avais du mal à m’exprimer, je répondais très difficilement à leurs questions. Heureusement, ma femme était présente, elle avait l’habitude de décrypter mes paroles confuses. Pour rédiger une page de procès-verbal, il leur a fallu me questionner pendant six heures.

Devant eux, j’ai fait l’inventaire de toutes les personnes qui auraient pu vouloir du mal à ma mère. Mais pas un homme, pas une femme, ne la détestait au point de souhaiter sa mort, et encore moins de la faire tuer !

Un comportement bizarre

A la fin de l’entretien, j’ai dit au commissaire : « J’ai comme une intuition que c’est Wojciech. » Je ne sais pas ce qui m’a pris de leur dire cela… Je leur ai raconté la scène qui a fait naître cet affreux doute en moi. Nous étions à l’hôpital Pasteur, le jour de la mort de ma mère. La direction de l’hôpital avait réuni la famille proche pour nous faire part des circonstances du décès. Dans la pièce se tenaient ma femme, ma soeur Sylvia et son compagnon, Wojciech Janowski. A peine nous avait-on annoncé la terrible nouvelle que Wojciech se levait en disant : « Excusez-moi, je dois téléphoner. » J’ai trouvé son comportement bizarre. J’ai appris plus tard qu’il avait appelé Pascal Dauriac, son coach sportif et complice présumé, chargé d’organiser l’exécution du crime. C’est la seule fois où j’ai été interrogé par la police.

Wojciech Janowski, le gendre d'Hélène Pastor, et commanditaire présumé de son assassinat, comparaît à partir du 17 septembre devant la cour d'assises d'es Bouches-du-Rhône.

Wojciech Janowski, le gendre d’Hélène Pastor, et commanditaire présumé de son assassinat, comparaît à partir du 17 septembre devant la cour d’assises d’es Bouches-du-Rhône.

Eric Dulière/PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Plusieurs semaines après, le 23 juin, ma soeur et son compagnon ont été de nouveau convoqués à la PJ de Nice et placés en garde à vue. Quand elle en est sortie, trois jours plus tard, Sylvia est venue nous voir à Monaco. Elle était atterrée, le visage noyé de larmes. Elle m’a dit : « C’est Wojciech ! Il a avoué être le commanditaire de l’assassinat de notre mère. » C’est alors que nous avons appris ce qui s’était passé.

Des tueurs amateurs

Très rapidement, alors que nous ignorions tout des avancées de l’enquête, la PJ a retrouvé la trace des deux hommes présents sur les lieux de l’assassinat de ma mère, à la sortie de l’hôpital L’Archet. Il y avait un tireur et un guetteur. Le premier nie toute participation, le second a reconnu les faits. Ces deux hommes sont venus de Marseille la veille de l’assassinat. Des tueurs amateurs, qui ont laissé toutes sortes de traces : ADN sur un flacon de gel douche dans l’hôtel où ils sont descendus à Nice, images de vidéosurveillance filmées par les caméras de la ville…

Ces deux hommes auraient été recrutés à Marseille par l’intermédiaire du coach sportif de ma soeur et de son compagnon, qui venait à leur domicile tous les matins depuis des années. Les détails de qui a fait quoi et le degré de responsabilité des uns et des autres m’importent peu. Ce qui m’obsède, c’est le rôle de Wojciech Janowski, que la justice présente comme le commanditaire de ce double assassinat. Il est en prison depuis son arrestation, il y a quatre ans. Il a dit des horreurs sur moi, que j’ai découvertes dans la procédure. Pour se dédouaner, il est allé jusqu’à me présenter aux policiers comme le véritable commanditaire, en raison de présumées difficultés financières de mes entreprises, une pure invention de sa part.

Je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si j’étais mort des suites de mon double AVC. Ma femme ne s’intéressant pas à la gestion de mon patrimoine, Wojciech aurait-il mis la main dessus ? Ma soeur l’aurait-elle soutenu dans cette entreprise ?

La résidence où vivaient la fille d'Hélène Pastor, Sylvia Ratkowski-Pastor, et son mari Wojciech Janowski.

La résidence où vivaient la fille d’Hélène Pastor, Sylvia Ratkowski-Pastor, et son mari Wojciech Janowski.

Valéry Hache/AFP

Wojciech faisait partie de la famille

En apprenant, de la bouche de ma soeur, qu’il lui avait avoué le crime, je me suis souvenu des doutes qui avaient assailli ma mère à la fin des années 1980, lorsque Sylvia a fondé un nouveau foyer avec Wojciech. Dans une famille comme la nôtre, il est naturel que l’on s’interroge sur les motivations des nouveaux venus. Etait-il réellement amoureux de ma soeur ou en voulait-il à son argent ?

Ma mère avait alors demandé à un détective privé de mener une enquête sur la vie passée de ce Polonais que personne ne connaissait jusqu’alors dans la principauté. Elle m’avait fait part des résultats. Le détective avait découvert que M. Janowski avait menti à ma soeur, à la fois sur ses diplômes et sur sa fortune personnelle. Il se prétendait diplômé de l’université anglaise de Cambridge, alors que c’était faux, et ne possédait aucun bien, hormis un petit studio en Angleterre.

Nous avons alerté ma soeur, qui l’a très mal pris. Elle nous a demandé de cesser ces investigations et de ne pas nous occuper de son compagnon. C’était sa vie privée et nous n’avions pas à nous en mêler. Ma mère a continué, discrètement, à commander des rapports sur Wojciech, pendant quelques années. Il est apparu qu’il aimait vraiment ma soeur, qui semblait heureuse avec lui. C’était le plus important. Ils ont élevé ensemble la fille aînée de Sylvia, issue de son premier mariage, et ils ont eu ensemble une deuxième fille. Lorsque ma mère a été assassinée, Wojciech faisait partie de la famille et plus personne n’émettait de doute sur lui depuis longtemps.

Arrivée de l'un des deux suspects du meurtre d'Hélène Pastor au tribunal de Marseille, le 27 juin 2014.

Arrivée de l’un des deux suspects du meurtre d’Hélène Pastor au tribunal de Marseille, le 27 juin 2014.

BERTRAND LANGLOIS/AFP

Le procès qui s’ouvre aux assises d’Aix-en-Provence, lundi 17 septembre, nous permettra, je l’espère, de faire toute la lumière. De comprendre pourquoi celui que je considérais comme mon beau-frère, l’homme qui partageait la vie de ma soeur depuis vingt-huit ans, le père de sa fille, a pu commettre un tel crime, s’il s’avère que la justice le déclare coupable. En tant que partie civile, je prévois d’assister à chaque audience, tous les jours, pendant le mois que durera le procès, en compagnie de mon avocat monégasque, Thomas Giaccardi.

Une fois que le verdict sera rendu, je pourrai enfin reprendre une vie normale et recommencer à bâtir des projets pour l’avenir.